Rencontre : Julien Derouault, les Diables Verts – Pietragalla Compagnie

Publié: 26 janvier 2012 par Camille L dans Danse, Opéra/Concerts, Scène, suggestion
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A peine passé le seuil du studio de répétition de la Pietragalla Compagnie, on est saisi de cette atmosphère effervescente et appliquée de création. Le son indistinct d’une voix résonne encore des derniers conseils, de mise en scène à en croire les bribes de mots que l’on a pu saisir au vol…

Après quelques instants, Julien Derouault nous accueille d’un grand sourire, sans prétention. Autour de cette table de travail, entourés d’affiches de la compagnie et de dates qui foisonnent sur de grands tableaux Velleda ®, nous essayons tant bien que mal d’entamer la conversation. C’est que nous somme un peu intimidés. Danseur puis chorégraphe aux côtés de « Pietra » Marie-Claude Pietragalla depuis 1999, Julien est le cofondateur de la Pietragalla Compagnie – Théâtre du Corps en 2004 et l’instigateur de la troupe des Diables Verts.

Nous étions venus avec nos myriades de questions qui se bousculaient, tant les extraits du  « Temps Brûle » que nous avions pu voir nous avaient interpellés. Nous n’avons pas eu à en poser une seule. Julien Derouault s’exprime avec la finesse, la pertinence et la clarté d’un homme qui a longuement réfléchi au sens de sa création et à son rôle d’artiste. Et quand un sage parle, il ne reste rien de plus intelligent à faire que de l’écouter et de chercher à saisir le plus grand nombre de ces mots éclairés.

Et ces mots surprennent, interpellent, bouleversent et choquent à l’image de la performance des Diables Verts.

Ce qu’ils doivent à leurs prédécesseurs, artistes poètes engagés inspirés par Aragon,  Ferré et Ferrat pour ne citer qu’eux, il ne le nie pas. « Quitte à être influencé, autant l’être par les bons » remarque Julien, avec cette sorte de modestie et d’espièglerie qu’il partage avec les Grands, ces artistes toujours humbles qui ont pourtant fait changer les choses, d’Aragon à Rostropovitch. Il sait qu’on ne crée rien de nouveau sans s’appuyer sur des bases solides. Si l’on n’est pas déjà instruit de ce qui est, comment peut-on prétendre à la nouveauté ? Cette nouveauté que l’on réclame aujourd’hui à tout prix et qui, sommes toutes, n’est peut-être pas l’essentiel. « Quand on voit la richesse et la musicalité de la langue française, on se rend compte que le trésor est juste là, sous nos pieds », précise-t-il encore.

Ce grand défenseur et représentant du spectacle vivant, ce « Théâtre du corps » comme ils le nomment avec Marie-Claude Pietragalla, n’hésite pas à bouleverser les codes et à dire ce qui ne se dit pas. « Non, la danse il ne faut pas s’y connaître pour l’apprécier comme le prétendent tellement de gens. Moi je ne sais absolument pas monter, et pourtant je vais bien au cinéma ! Aujourd’hui on a toujours besoin de tout comprendre, on a peur de ne pas comprendre… » Le message, parfois, n’a pas besoin d’être intellectualisé et « élitisé » pour être transmis. C’est bien là le rôle de la poésie, de la danse, de l’art et de l’artiste. Transmettre par ce foisonnement d’impressions, cet « innommable », un message universel.

Retour sur la rencontre avec un artiste engagé, un poète du corps, éclairé et pertinent, comme il n’en existe que trop peu.

Tommy K.

Julien Derouault et Marie-Claude Pietragalla    ©Pietragalla Compagnie

Si vous n’avez jamais entendu parler des Diables Verts, il est temps d’y remédier! Le co-fondateur de la Pietragalla Compagnie, Julien Derouault, s’est entouré de trois jeunes musiciens talentueux pour une scène riche en émotions dans Le Temps brûle. Le quartet est aussi composé de Malik Berki (DJ électro hip-hop), Clément Simon après Thomas Enhco au piano et son frère David Enhco à la trompette. Un cinquième Diable Vert, peintre, est attendu pour les performances à l’espace Cardin les 16 et 17 mars prochains. Nous pouvons noter aussi l’originalité des costumes dessinés par Johanna Hilaire. Les Diables Verts ont une allure suréelle, moderne et classique à la fois, mêlant culture tag, cirque, et dandysme.

Mais alors, me direz-vous, qu’est ce qui réunit ces jeunes artistes d’horizons et de formations différentes ? Il s’agit des textes de La Nuit des jeunes gens d’Aragon où il évoque les nuits de son passé tantôt étranges, tantôt hallucinatoires. Aragon aborde le thème universel de l’élan de la jeunesse, l’énergie latente qui est prête à exploser. Nos jeunes créateurs font alors dialoguer danse et musique autour de ce texte. De ce mélange des arts nait une nouvelle langue, cette langue qui selon Rimbaud « sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant ». Il faut donc accepter de ne plus faire usage de sa raison et de se laisser porter par l’inconnu. Pour Julien Derouault, « l’art c’est savoir se perdre ou aimer se perdre ».

En « dépoussiérant » la poésie et en la mettant au goût du jour, les Diables Verts prouvent que la création ne nait pas ex-nihilo. Les artistes sont des passeurs qui s’approprient les modèles, les dépassent, et les offrent au public. Le poète n’est pas tant celui qui sait mettre des mots les uns à la suite des autres mais il est celui qui peut transmettre sa vision du monde, qui peut faire résonner sa voix dans les tumultes de la vie et donner ainsi un témoignage. C’est le cas d’Aragon dans La Nuit des Jeunes Gens. La voix du vieil homme se fait parfois entendre en décalage avec les souvenirs. L’ironie, le ton grinçant enrichissent la remémoration.

Le quartet dont le nom fait référence à l’absinthe, la boisson des poètes aux parfums d’interdit, nous propose un voyage initiatique au-travers d’une « expérience sensorielle » dont l’enseignement serait selon les mots d’Aragon lui-même « Hommes de demain soufflez sur les chardons ». « Le temps brûle » et façonne l’être, la vie semble éphémère, tout comme la création qui se déroule sous nos yeux et qui laisse une large place à l’art de l’improvisation. C’est pourquoi il est urgent de vivre le moment présent ; la musique et le discours alternent avec un silence chargé d’attente et de tension comme si l’homme avait un besoin incessant de dire.

Une fois à l’apogée de l’ivresse, le rythme se fait plus lent, le jazz envahit la scène en réponse aux sons électro et hip-hop. Le spectacle prend fin, le poète a mis à nu son âme et il y a fort à parier que nous ne sommes déjà plus les mêmes.

Informations et Réservations sur le site des Diables Verts

Camille L.

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